jeudi 4 novembre 2010

Une noyade

Le Figaro 30/06/1880
Gallica.bnf.fr
[13/05/2010]
Le 30 juin 1880 est déclaré dans le 1er arrondissement de Paris, et transcrit dans le 7em, lieu de son domicile, le décès d'Emile Désiré ALEXANDRE. Il est mort la veille quai des Tuileries, côté Seine. Il avait 34 ans et était charretier comme son père, Jean ALEXANDRE.
Il faut savoir qu'à Paris, les charretiers de halage, aidés de leurs chevaux, travaillaient sur les berges de la Seine.
J'ai trouvé sur Gallica dans les différents titres de la presse ancienne de l'époque, relation des faits suivants :
(Le Temps du 01/07/1880 )
Hier, à une heure de l'après-midi, un tombereau chargé de sable, se trouvait sur le quai entre les ponts Royal et Solférino. Le cheval ayant reculé mal à propos fut entrainé dans le fleuve avec le charretier. A cinq heures, on retirait le cheval et la voiture; quant au charretier, on n'a pu le retrouver malgré d'actives recherches
ce dramatique accident est également rapporté avec plus ou moins de détails par le Figaro, l'Echo de Paris, le Petit Parisien des 30juin et 1er juillet.

Un seul des journalistes cherche à en savoir davantage et nous apprend que dans la soirée du 29 juin, jour de l'accident, le corps du charretier fut finalement retrouvé et conduit à la morgue comme l'étaient tous les noyés et autres cadavres non identifiés :
(Le Temps du 02/07/1880)
Nous avons raconté hier la mort tragique de ce malheureux charretier entrainé dans la Seine avec son cheval et son tombereau, sur la berge du quai des Tuileries. le cadavre du charretier a été retrouvé le soir, à dix heures et demie, arrêté par les chaines du ponton des Tuileries. C'est un nommé Aclasseur, originaire de Beauvais. Le corps a été envoyé à la Morgue
- Emile Désiré ALEXANDRE est le seul parisien à mourir quai de Seine dans le 1er le 29/06/1880, et il était charretier...
- Il n'y a aucune mention d'un ACLASSEUR décédé à Paris dans le 1er ou ailleurs ni en juin ni en juillet 1880, pas davantage de mort inconnu déclaré ce jour là où les suivants dans le 1er arrdt, lieu du drame.
- Dans certaines professions les surnoms étaient monnaie courante.

1/Je voudrais accéder au rapport de la morgue de Paris s'il existe, concernant le noyé, savoir qui a identifié le corps ; car pour moi il s'agit bien d'Emile.

Si vous avez encore la patience de me lire, j'ajoute un paragraphe à l'histoire:
la presse de l'époque mentionne deux faits divers qui m'interpellent:

Le Petit Parisien :

La nuit dernière, vers deux heures du matin, des gardiens de la paix remarquèrent, assis sur un banc du boulevard Saint Jacques, un homme âgé de cinquante cinq ans environ dont les allures leur paraissaient équivoques. Ils s'approchèrent au moment où cet homme venait de se frapper la gorge avec un rasoir. Les agents eurent beaucoup de peine à désarmer ce malheureux qui, dépourvu de son arme cherchait à s'arracher la gorge avec les ongles. Cet homme qui a refusé de se faire connaître, a été transporté et admis d'urgence à l'Hopital Cochin, son état est grave

et quelques jours plus tard :

Hier matin, à quatre heures, Monsieur Louis Malapert, marinier demeurant rue d'Allemagne, a repêché du canal de l'Ourq à Pantin, en face le chantier forain, le cadavre d'un inconnu paraissant âgé d'environ cinquante cinq ans. ce cadavre complètement nu a été transporté à la Morgue. Certaines blessures remarquées ont donné à penser qu'il pouvait y avoir eu crime et la justice a ordonné l'autopsie. on a trouvé le 1er juillet vers cinq heures du soir sur la berge du canal un paquet de vêtements qu'on croit être ceux de l'individu dont il s'agit. Les vêtements ainsi trouvés sont: une chemise en coton blanc non marquée, un pantalon en velours marron, une veste en toile bleue, une casquette de soie noire, une paire de galoches avec chaussons de laine, deux cravates et un porte monnaie vide.

Là, je n'ai aucune certitude, pas même de conviction, cependant j'ai une intuition, et je m'explique:
- Jean ALEXANDRE, le père d'Emile, a successivement vu mourir ses 2 filles, sa femme, et son fils aîné en l'espace de quelques années depuis l'installation de la famille à Paris. Il ne lui reste qu'une soeur, Victorine, qui vit rue de l'Aqueduc dans le 10em près du canal St Martin
- La Morgue était située sur l'île de la Cité, coté rive gauche

AD Paris
Si l'on envisage que c'est lui qui a identifié le corps de son fils dans la soirée du 29 juin, on peut imaginer qu'il puisse, sortant de là, être le désespéré de la rue St Jacques qui est à deux pas.
Si c'est bien lui, allons plus loin, il peut, quittant Cochin 48h plus tard après y avoir reçu des soins, rejoindre le nord est de Paris où vit sa soeur, et repris par le désespoir se jeter à l'eau pour en finir. Les blessures qu'il s'était infligées précédemment pouvant laisser croire aux agents qui le découvrent ensuite qu'il y a eu violence et assassinat (même si le petit tas de vêtements leur parait comme à moi bien étrange)

2/ donc, j'aimerais trouver le rapport de la Morgue concernant cet inconnu du canal de l'Ourq
(mais j'ignore s'il s'agit de la morgue de Paris ou s'il en existait une à Pantin)

Voilà toute l'affaire, la seconde partie de mes recherches est assez farfelue j'en conviens, mais la généalogie c'est celà aussi n'est-ce pas?

[3/11/2010]

Dans les semaines qui suivirent la publication de ce post, je profitai d'un court séjour à Paris pour me rendre aux Archives de la Préfecture de Police consulter les registres de la Morgue.  (à ne pas manquer : très chouette musée de criminologie)
Aucun noyé ne fut enregistré les 29 ou 30 juin  ! Aucun Aclasseur ne figure dans les registres !

Alors, comment savoir ?


[12/11/2010]
Archives de la Préfecture


Afin d'illustrer ma réponse au pertinent commentaire de mistike voici ce que dit le registre de la morgue de Paris à propos du second noyé!
de Police de Paris



  


Remarquez comme la description vestimentaire est, dans le même ordre, et au détail près identique à celle du journaliste.  Il ne s'agit donc pas du père de mon charretier.  





[16/08/2011]


Du service de la Morgue

La morgue de Paris, sa description, son service, son système hygiénique. De l'autopsie judiciaire, comparée à l'autopsie pathologique. Par M. Alph.Devergie 

3 commentaires:

David a dit…

C'est passionant comme histoire!
Dommage qu'on ne puisse pas (encore?) savoir si c'est bien son père qui s'est suicidé plus tard.

mistike a dit…

Intéressant ! Ce nom "Aclasseur" est étrange... il sonne comme une faute de lecture du journaliste, probablement en lisant le registre. C'est aussi étrange que le noyé n'apparaisse pas dans lesdits registres de la morgue. Question idiote, mais as-tu poussé jusqu'au 2 juillet ?

Pour le papa... as-tu pu consulter les registres de Cochin ? Il n'y a pas d'acte de décès pour le noyé-suicidé ?

Merline a dit…

Comme toi mistike, j'entends "A classer", que le journaliste l'ait lu, ou entendu dire par l'employé de la morgue.
A classer en effet si finalement le corps n'est pas resté sur place mais a été conduit comme précisé dans l'acte de décés d'Emile à son doimicile.
Je suis , moi aussi ;)facilement obsessionnelle j'ai fouillé les 20 arrondissements TDD, et tables annuelles, puis feuilleté les registres de décès du 25 juin au 15 juillet...en vain